UN JOUR NOIR DANS UNE ÉPOQUE SOMBRE

La longue marche des internationalistes de cette année est passée par la Suisse

Le calendrier kurde comprend de nombreuses commémorations d’atrocités commises à l’encontre du peuple kurde, souvent des massacres de groupes importants de personnes. Le 15 février marque pour les Kurdes la tentative d’assassinat de l’espoir : à cette date s’est déroulée une attaque internationale contre le peuple kurde en la personne d’un seul homme, le leader incontesté du Mouvement de la liberté kurde, Abdullah Öcalan.

Le 15 février est connu sous le nom de Roja Reş, le jour noir. C’est ce jour-là, il y a 24 ans, qu’une conspiration internationale, dirigée par la CIA, a enlevé Öcalan à l’ambassade de Grèce à Nairobi, où il s’était réfugié dans sa quête d’asile, et l’a livré à la Turquie. Cinq mois plus tard, il a été condamné à mort. Lorsque la Turquie a mis fin à la peine capitale, sa peine a été commuée en emprisonnement à vie, devenu une forme de vie proche de la mort. Cela fait presque deux ans qu’Öcalan n’a pas été autorisé à parler avec quiconque en dehors de la prison. Son dernier contact en date a été un appel téléphonique avec son frère qui a été interrompu au bout de quelques minutes.

Les années précédentes, le 15 février a été marqué par une grande manifestation à Strasbourg, siège des institutions européennes des droits de l’Homme. La semaine précédent la date anniversaire de l’enlèvement, de longues marches partent traditionnellement de différents endroits pour promouvoir l’appel à la liberté d’Öcalan, et beaucoup d’entre elles convergent vers Strasbourg. Mais cette année, la manifestation de Strasbourg a été annulée car les Kurdes du monde entier  sont happés par les horreurs qui se déroulent en Turquie et en Syrie à la suite du tremblement de terre du 6 février. Pratiquement aucune famille kurde n’a été épargnée. C’est une période sombre : une période de deuil, mais aussi une période d’organisation – pour faire tout ce qui est possible pour aider les survivant·es et s’assurer que l’aide arrive à celles et ceux qui en ont besoin et n’est pas accaparée par le gouvernement turc.

La capture d’Öcalan et l’incapacité du gouvernement turc à donner suite à l’une de ses nombreuses tentatives de négocier un avenir pacifique et digne pour les Kurdes de Turquie sont symptomatiques d’un État centralisé, de plus en plus autocratique et nationaliste : un État dont les déficiences brutales ont été exposées au monde entier dans les échecs catastrophiques de sa préparation et de sa réponse au tremblement de terre. Dans la réaction du gouvernement turc au tremblement de terre, nous constatons la même focalisation sur l’accroissement du pouvoir de l’État, la même intolérance à l’égard d’autres formes d’organisation, les mêmes préjugés à l’égard des groupes minoritaires, qui ont toujours sous-tendu l’approche de la Turquie à l’égard des Kurdes et d’Öcalan – et qui n’ont fait que croître ces dernières années.

Malgré tout, l’espoir n’a pas été détruit il y a 24 ans. L’importance d’Öcalan et la diffusion de ses idées n’ont fait que se renforcer. La philosophie qu’il a développée pendant les longues années d’isolement en prison a inspiré des gens dans le monde entier. Elle a inspiré la révolution du Rojava et donné de la force à la politique kurde en Turquie. Ce matin, j’ai été contactée par un camarade au Kenya, le pays d’où Öcalan a été enlevé. Le camarade B fait partie du Grassroots Liberation Movement qui s’inspire des idées d’Öcalan. Il a utilisé une citation célèbre des Mau Mau qui ont mené la lutte pour l’indépendance du Kenya : “nous sommes partout”.

Dans la zone des tremblements de terre, face à la mainmise d’un gouvernement qui s’est montré plus intéressé par sa propre image que par l’aide aux  survivant·es, la Turquie a vu fleurir l’entraide. C’est ce qui se passe habituellement après une  catastrophe. Malgré l’alarmisme des médias, la grande majorité des gens sont prêts à s’entraider, et l’organisation la plus efficace vient des gens eux-mêmes. En Turquie, l’efficacité de cette auto-organisation a été considérablement renforcée par les réseaux bien ancrés d’organisations, d’activistes et de politiciens mis en place par le Mouvement de la liberté kurde, conformément aux idées de démocratie ascendante inspirées par Öcalan. Ces réseaux ont pu passer rapidement à l’action et atteindre des personnes et des zones délaissées par les autorités officielles. Le gouvernement a tenté de les arrêter. Plutôt que de s’attacher à sauver des vies, l’État veut s’assurer qu’aucune autre organisation ne puisse être vue comme aidant les personnes dans le besoin. Des années d’oppression et de détention, y compris la destitution de presque tous les maires élus, ont empêché les structures kurdes d’atteindre leur plein potentiel. Mais la mobilisation en cours démontre l’efficacité de l’organisation  pensée par Öcalan et son pouvoir effectif répondre aux besoins humains réels.